Un coup de feu. Un cri. La panique. Je tombe. J’ai mal. Le noir.
Je cligne plusieurs fois des yeux avant de m’habituer à la lumière scintillante du soleil qui brûle ma peau. Une douleur intense persiste dans ma tête et je distingue encore quelques points noirs à travers mes pupilles. Je suis allongée sur le sol, déposé comme un vulgaire animal. Autour de moi règne une intense agitation. Des ordres sont lancés avec véhémence, accompagnés d’insultes et de sobriquets des plus dégradants. De jeunes enfants courent dans tous les sens, la plupart ne sont pas plus âgés que moi, sept ans tout au plus. Un homme, à la carrure imposante s’approche, remarquant que je suis éveillé, il m’attrape par le bras et me relève violemment. Des larmes glissent sur mes joues et de lourd sanglots agitent ma poitrine. La main du géant vient s’abattre sur mon visage, y laissant une marque enflammée.
« - Un soldat ne pleure pas !!! »
Je tente vainement de retenir les gouttes salées qui me font subir de tels supplices. Je parviens à me calmer. On m’entraine dans un cabanon où l’on me jette sur le sol. Je reçois plusieurs coups de pieds et de poings avant que l’on m’abandonne sur le sol crasseux. J’en appelle à la délivrance de l’inconscience et je sombre doucement dans un sommeil sans rêve.
Les jours passent et les sévices se font plus rares, jusqu’à disparaitre entièrement. Mon caractère a changé depuis mon arrivée au camps, il y a un mois de cela. Mes traits se sont durcis, l’innocence qui habitait mes yeux les a déserté, les remplaçant par une flamme de colère qui ne s’éteint jamais. Un matin l’on m’avait placé une arme dans les mains. Je m’entrainais au tir chaque jour, jusqu’aujourd’hui. C’était le grand jour, celui où l’on devait attaquer un village.
Je grimpe dans la jeep, accompagné d’une douzaine d’autres enfants et le moteur se met en marche. La peur enserre mon cœur, je n’ai pas encore tué et je dois encore faire mes preuves. Quand nous arrivons la panique s’empare des villageois. Nous descendons du convoi et sans regarder les personnes que nos balles atteignent nous tirons. Je touche tout d’abord une femme qui tient dans ses bras un bébé. Un flot de sang jaillit de sa poitrine et s’écoule sur le visage innocent du nouveau né. J’achève le bambin d’une balle assenée directement dans la tête. Emporté par la rage, j’assassine encore, me réjouissant de voir les litres d’hémoglobines s’écoulant sur la terre. Je frappe plusieurs enfants à la tête, des futurs soldats, comme moi.
Lorsque nous rentrons, je rejoins mes collègues et ensemble nous vidons plusieurs canettes de bière. Laissant l’alcool s’emparer de nos esprits. De troubles visions naviguent dans mon âme. L’horreur envahit ma tête, des images violentes, répugnantes se déroulent dans mon cerveau. Je reconnais ces scènes. Ce sont mes actes, mes meurtres. Un nouveau sentiment nait en moi, le dégoût, le dégout de soi.
L’arme accrochée à ma taille me nargue. Je l’attrape, dirige le canon vers ma bouche et presse la détente.
Un coup de feu. Du sang. Le noir.
Ubwa, huit ans, soldat et déjà mort.