Chapitre 1 : Nostalgie ( partie 1 )
Un rayon de soleil pénétra dans la petite chambre où logeait le jeune Paul. Il était allongé sur une couchette au matelas pas plus épais qu’une simple feuille de papier. Les ressorts du sommier entaillaient son dos déjà balafré par les coups qu’il recevait lorsqu’il travaillait dans les décharges de la ville. L’astre flamboyant embrassa la rue, colorant d’une lumière orangée les trottoirs d’un blanc immaculés. Les rues fourmillaient déjà de nombres de personnes se rendant au travail. Paul les observaient, il cherchait un visage masculin parmi cette assemblée de femmes en tailleur sombre. Sa vue n’était pas très bonne et il ne parvenait pas à distinguer correctement les traits de chaque individu. Il s’imaginait des figures austères, des yeux perdus dans des réflexions compliqués visant à améliorer ce monde qui approchait, selon le nouveau gouvernement, de la perfection. Il ferma la fenêtre, tira le rideau et s’assit sur le fauteuil vieilli par les années. Il réfléchissait souvent aux règles de cette société radicalement changé. Il était né hommes, il mourrait homme et vivrait esclave. Il n’avait pas connu les temps où hommes et femmes étaient égaux. Son grand-père lui racontait souvent la beauté de cette période. Il lui contait les joies de la liberté, les odeurs d’un air qui n’avait pas été totalement nettoyé. Lorsque le vieil homme se perdait dans ses pensées un sourire béat venait illuminer son visage, effaçant les blessures que les années de dure labeur avaient gravées sur sa peau. Il admirait cet homme qui l’avait élevé après le décès de son père. Celui-ci était survenu alors qu’il n’avait encore que quelques mois. Alors qu’il s’égarait dans les méandres de ses quelques souvenirs une larme roula sur sa joue noircie.
A l’opposé de là, Cassandra s’observait dans son miroir. Elle était commune à la plupart des femmes qui l’entourait. Des cheveux châtain, ne brillant que rarement, des yeux d’un marron foncé qui ne pétillait jamais. Elle décida d’habiller son regard d’une épaisse couche de mascara et appliqua un gloss transparent sur ses lèvres légèrement charnues. Elle soupira. Elle ne comprenait pas pourquoi elle se donnait autant de peine à vouloir être belle. Elle vivait dans un monde où elle ne côtoyait que des femmes. Elle regrettait souvent de n’avoir jamais pu rencontrer d’homme. Croisé cette créature des bas-fond lui était impossible et elle savait qu’elle ne les côtoierait que lorsque viendrait le temps, pour elle, d’enfanter. Sa vie était triste, trop monotone à son goût. Elle rêvait de belle histoire d’amour, de cœur qui bat, de sentiments forts. Elle ne les connaissait que par le biais des romans qu’elle lisait en cachette de sa mère. Celle-ci lui avait formellement interdit d’accéder aux livres de « l’avant ». De nouveau, elle jeta un coup d’œil à son reflet. Satisfaite, elle quitta la salle de bain, attrapa son sac qui était étalé sur le sol et sortit de la maison. Elle se mêla à la foule et partit en direction du lycée Notre-Dame situé dans le dix-huitième arrondissement.
Non loin de là, Claudia observait la scène qui se déroulait sous sa fenêtre. Le monde tournait rond. La ville était propre, agréable, personne n’échangeait de parole violente et la paix semblait régner dans les rues. Soulagée, elle rejoignit sa place et fit face à l’assemblée de femmes qui se tenait devant elle. Elles étaient huit, toutes les cheveux relevés, le visage que très peu expressif. Une femme se leva et frappa des mains sur la grande table en bois. Ses yeux étaient sévères et les traits de son visage semblaient figés dans une éternelle lassitude. Elle était petite et mince, rien de très impressionnant, mais elle aspirait le respect par son allure. Elle s’éclaircie la gorge puis démarra son discours :
« - Le bilan de ce mois-ci est inacceptable. Le nombre d’arrestation pour révolte à presque doublé en l’espace de seulement quelques semaines. Les hommes deviennent violent et tentent de reprendre le pouvoir. Nous devons agir et vite, nous ne pouvons pas faire face à une révolution. Les armées ont été dissoutes il y a de cela de nombreuses années, notre gouvernement étant basé sur la paix. De plus aucun homme n’acceptera de combattre les individus de son sexe qui se sentent opprimés. Nous devons empêcher qu’ils reprennent le pouvoir et cela par n’importe quel moyen. Les femmes du monde refuseront d’être de nouveau rabaissé au rang de Sexe Faible. »
Elle acheva sa tirade et lança un regard à l’assemblée qui l’avait écouté attentivement. D’un simple coup d‘œil, elle invita ses collègues à donner leur avis sur la question. Une femme aux cheveux noirs et à aux yeux de la même couleur de jais que ceux-ci prit la parole :
« - Je pense, que la non-violence n’est pas la solution. Nous devons leur faire comprendre qu’aucune révolte ne sera accepté. Les hommes, les mâles se comportent comme des animaux, ils essayent de récupérer leur territoire et n’hésiterons pas à employer la force. La meilleure solution est une répression sévère et exemplaire coupant la chique à tous ceux qui voudraient suivre les opposants au régime. »
Quand l’oratrice eu finit d’exposer ses idées, tous les chignons acquiescèrent à sa proposition. Claudia avait, elle aussi, hoché de la tête mais elle restait sceptique. Fatigué, elle congédia les membres du conseil et s’affala dans son fauteuil.
Paul était épuisé mais il devait se lever et rejoindre son lieu de travail. Il enfila son uniforme, un pantalon et une chemise bouffante d’un bleu électrique intense et vulgaire. Il détestait ces vêtements. Il sortit de sa petite chambre et mit un pied dans le lugubre couloir de l’immeuble. La tapisserie s’ébruitait, dévoilant de longs pans de mur terne et salit par les années. Au fond du corridor, sur une porte à la peinture blanche écaillée se dressait un miroir en pied. Ainsi, il était forcé à apercevoir son allure négligé avant de traverser la ville pour rejoindre ses lieux de dure labeur. Lorsqu’il passa devant la glace, son reflet était éteint, comme les murs, il n’était plus qu’un élément du décor. Ses cheveux était décolorés, d’un blond décoloré et de la même texture que la paille. Le fond de ses yeux aussi était blême, regardant vers un futur tracé et vide de sens, n’ayant que pour seul but la survie de son âme desséchée. Ce qu’il vit l’effraya, il avait l’impression d’avoir décrépi avec les années, de n’être plus qu’un vieillard qui attendait que la mort vienne le chercher. Et puis l’espace d’un instant l’image changea. Les traits de son visage devinrent plus clair, plus beau. La jeunesse avait repris possession de son corps, il avait enfin vingt ans et un sourire radieux naissait sur ses lèvres. Puis dans un soupir l’image s’évapora, n’y laissant que la promesse futile d’un futur impossible et d’un présent irréel.