Ses talons claquaient sur le sol encore humide de la pluie de la veille. Les ombres de la nuit s’insinuait lentement dans la ruelle. Cela la rendait nerveuse, le noir. Elle avait dût mal à contenir l’angoisse qui lui tenaillait le ventre et elle pressa le pas. Clac, clac, clac. Elle regarda par-dessus son épaule. Clac, clac, clac. Elle vit une ombre. Clac, clac, clac. Elle commença à courir. Clac, clac, clac. Elle s’arrêta. Essoufflée. De nouveau elle lança son regard derrière elle… Rien. Elle reprit son souffle. Quelle idiote. Son psy lui avait dit qu’elle ne devait pas s’inquiéter, qu’elle voyait des ombres, des menaces qui n’existait pas. Sa paranoïa lui avait encore joué un tour. Elle se remit en marche. Clac, clac, clac. Elle se détendit. Clac, clac, clac. Elle distingua son appartement. Clac, clac, clac. Elle sortit ses clés. Clac, clac, clac. Un ultime coup d’œil en arrière. Clac, clac, clac. Elle s’arrêta. Son cœur fit un bond, deux bonds. Boum, boum, boum. Un coup. Plus rien.
Une douleur lancinante avait pris possession de son crâne. Elle leva la main. Elle la posa à l’arrière de sa tête. Elle sentit le liquide poisseux qui collait à ses cheveux. Elle n’avait pas encore ouvert les yeux; Elle devait être étendue sur le sol. C’était dur, froid, rugueux sous son dos. Une odeur infecte s’élevait dans les airs. Les relents lui irritaient le nez, la forçant à le retrousser. Elle compta dans sa tête. Chercha un souvenir. Un, deux, trois. Rien, le néant. Quatre, cinq, six. Une chute, une souffrance soudaine. Sept, huit, neuf. Une image, un flash. Dix, onze, douze. Un visage, un souffle chaud. Treize, quatorze, quinze. Elle ouvrit les yeux.
Ce fut d’abord la peur. Celle-ci se mua doucement en une inquiétude dévorante. Elle battit trois fois des paupières. Elle n’était pas sûre que ce qui l’entourait était réel. Un rêve. Un mauvais rêve. Elle avait toujours eu peur du noir. Elle tourna le regard. Du noir. Un autre coin. Du noir. Son cœur. Du noir. Un cri naquit au fond de sa gorge. Elle ouvrit la bouche. Sèche. Trop sèche. Le silence. Un appel au secours…Toujours rien. Elle ouvrit les oreilles. Rechercha un son. Aucune respiration. Pas de vie. Elle essaya d’être plus attentive. Un indice sur le lieu. Elle distingua une infime mélodie. Une répétition. Une goutte. Une autre. Plic, ploc, plic, ploc. Elle attendait. Plic, ploc, plic, ploc. Elle tremblait, le froid la tenaillait. Plic, ploc, plic, ploc. Un bruit de pas. Plic, ploc, plic, ploc. Tac, tac, tac. Une porte grinça. Plic, ploc, plic, ploc. Une raie de lumière passa dans la pièce et puis un visage.
Elle était recroquevillée sur le sol. Totalement nue. Pieds et poings liés. La crasse recouvrait chaque parcelle de sa peau. Une odeur putride envahissait la petite pièce sombre. Mélange de relents d’urine, de tabac, de moisi et d’autres effluves dont les fragrances étaient un peu moins fortes. Le froid l’embrassait et hérissait sa peau noircie par la saleté. Elle ne savait plus depuis combien de temps elle était là, dans l’obscurité. La nuit, le jour, elle n’arrivait pas à les distinguer. Des traces de sel s’attardaient encore sur son visage auparavant si beau, si doux. Les battements de son cœur étaient endormis, pulsation lente et régulière. Elle gardait les yeux fermés. Elle ne voulait pas voir ce qui l’entourait, ces morts qui jonchaient le sol. L’image du corps meurtri sur sa gauche la hantait encore. Une autre femme. Mutilée, de larges entailles s’étalaient sur ses bras, ses jambes, ses seins et son ventre. Elle gisait dans son sang, qui avait fini par déserter son cadavre à présent aussi froid que l’air de la cellule. Ce n’était pas la seule dépouille qui se trouvait là, une bonne demi-douzaine de corps étaient posés sur le plancher sale.
La porte grinça. Un homme pénétra dans la pièce. Il était tout aussi sale que ce lieu sordide et dégageait la même odeur fétide. Il s’approcha de la femme qui était blotie dans un coin et l’empoigna par la chevelure. Elle gardait les yeux fermés, refusait de le regarder. La douleur irradiait dans son corps meurtri. Il lui asséna un coup au visage, la forçant à le regarder. Elle entrouvrit les paupières. L’horreur prit place dans son esprit, ce visage, ces traits. Il était son bourreau depuis trop longtemps déjà. Elle ne souhaitait qu’une seule chose, qu’il se décide enfin à l’achever, que la torture cesse. Elle savait quels sévices il allait lui inffliger. Il détacha ses bras, puis ses pieds. La maintenant d’une poigne ferme avec une main, il employait la seconde à défaire les agrafes de son propre pantalon. Elle n’osait pas regarder, elle attendrait que cela passe. Qu’il arrête et qu’il s’en aille. Elle entendit le tissu glisser au bas des jambes de son tortionnaire. Ensuite elle sentit son sexe dur pénétrer son corps, la salissant un peu plus. Elle n’avait plus la force de résister, de tenter de le repousser. Elle perdait un peu de son âme à chaque va et vient du pénis à l’intérieur d’elle-même. Si seulement il ne prenait son pied qu’en la violant, si seulement il n’avait pas besoin de mutiler son corps. S’arrêtant un instant, il chercha un objet contondant dans la poche de son pantalon. Et puis il reprit de plus belle, faisant glisser la lame sur sa peau de la même manière qu’il faisait glisser son sexe dans celui de la jeune femme. Des hurlements de douleur jaillissaient de sa gorge, le suppliant de la tuer. Elle était prise de convulsions de dégoût lorsqu’il posait ses lèvres sur sa peau d’albâtre. Il embrassait sa bouche, son cou, sa poitrine. Les minutes défilaient et elle mourait doucement, trop doucement. Elle avait perdu le compte du temps, avait l’impression que ça faisait des heures qu’elle était manipulée comme une vulgaire poupée gonflable.
Son ravisseur sortit enfin de son corps. Il se rhabilla et quitta la pièce en la laissant se vider de son sang.